Johanovitch

Ça y est, le jour s’est levé. J’me suis extrait assez tard du pieu, vu l’heure à laquelle j’me suis endormi. Au p’tit dej’, j’ai bien observé mes vieux. RAS, c’est comme si rien ne s’était passé. Pour eux, j’me suis couché hier soir et ils me retrouvent inchangé c’matin. Ils se douteraient jamais que j’ai vieilli d’une semaine durant la nuit ! La matinée s’étire en longueur, et il me tarde d’arriver à l’heure du rancart. J’me demande comment va être Alka sous forme “terrienne” et quel prénom elle va choisir. Enfin, j’verrai bien c’t aprèm.

oOo

Cette fois, c’est la bonne. Je retrouve Kzen… euh, Valérie accompagnée d’Alka au centre-ville. Et là, j’ai un choc. Bon sang, je savais qu’elle serait canon, mais j’imaginais pas à quel point ! Légèrement plus petite que Valérie, brune aux yeux bleus, des cheveux courts à la “garçonne”, un corps svelte et élancé dans un jean et un col roulé. Curieusement, ça lui donne un p’tit quelque chose d’androgyne. Tu peux me croire, mec, y’a pas qu’les garçons qu’elle va affoler !

– Wolfy, voila Alexia, qui est censée être ma cousine venue me rendre visite pour quelques jours. Mes parents sont déjà “programmés” et l’ont accueillie ce matin.

– Enchanté, Alexia. Bienvenue sur Terre. On t’fait visiter ?

– Bien volontiers, Wolfgang. Mais s’il te plaît, appelle-moi seulement Alex.

– Si tu veux. Ah, un p’tit détail : faudrait qu’tu adaptes ton langage à ton apparence. Si tu causes trop bien, ça s’rait louche.

– Dac’, mec. J’vais faire un effort. Ça colle comme ça ?

– Mouais, ça ira. Allez, on s’arrache !

Où et quand elle a appris à parler comme ça ? Décidément, les Altaïrans m’étonneront toujours.

Elle s’en remplit plein les mirettes. Faut dire qu’à côté de leur petites villes de province, y’a de quoi surprendre. Les immeubles à plusieurs étages, les boutiques diverses, – elle a eu l’air particulièrement intéressée par un “sex-shop”, ça promet ! – les grandes surfaces, les cinoches, les cybercafés, les salles de jeu…etc. Aussi, elle nous bombarde de questions, Valérie et moi.

– Dites, ils se sentent pas un peu à l’étroit, ces pauvres gens empilés les uns sur les autres ?

– Ben, on a pas autant d’espace vital que vous sur Altaïr. Y’a plus de sept milliard d’individus sur Terre, alors faut faire avec.

– Par contre, tous ces magasins, c’est assez affolant. Comment vous faites avec autant de choix ?

– Ça, ma grande, c’est typiquement terrien. On adore s’torturer les méninges.

– J’vois ça. Et on fait quoi, maintenant ?

Ben ma vieille, faut pas lui en promettre ! Tiens, on va lui faire rencontrer des jeunes. J’me régale d’avance de leur réaction.

– Valy, si on allait à la cafet’ en face du bahut ? J’suis sûr qu’on y ferait des rencontres intéressantes pour Alex.

– Oh oui, oh oui. J’voudrais bien voir des jeunes de notre âge. Allez, dis oui, ma chérie !

– Euh, mon amour, tu crois que ce serait prudent ?

Je comprends un peu Valérie. Elle a peur pour moi. Si jamais on tombe sur le mammouth, ça risque de tourner vinaigre. Mais tant pis. On va pas s’cacher éternellement, tous les deux. Faudra bien qu’ils s’y fassent, aussi bien le Conrad que les p’tits chiens-chiens à leur mémère. On va donc à la cafet’, y’a pas grand monde, vacances obligent. Les gus qu’elle voit n’ont pas l’air d’impressionner Alexia. Et là, on tombe sur qui ? Mais non, pas sur Ursula Andress ! Surtout qu’à près de quatre-vingt balais, elle a plus trop de quoi exciter les branleurs. T’es un obsédé, mec ! Non, à une table, seule et sirotant tristement un café qui a l’air froid, se tient Nathalie. Allez, on va lui tenir compagnie.

– Alors, Poupée, t’attends ton mec ?

– Oh, Valérie, Wolfgang ! J’suis heureuse de vous voir. Alors les amoureux, toujours dans votre nua…

Le mot lui reste coincé dans la gorge quand elle voit Alka. Je regarde, et j’observe la même réaction chez elle. Le regard qu’elles se lancent ferait fondre la banquise. Tiens-tiens ! Ça s’rait un coup de foudre que ça m’étonnerait pas. Par contre, j’aurais jamais cru que Nathalie soit…

– Nathalie, je te présente ma cousine Alexia. Elle est venue passer quelques jours chez moi.

– En-Enchantée, Alexia. Euh…

– M-Moi de même, Nathalie. Mais j’t’en prie, appelle-moi Alex.

Tout à coup, j’entends la voie de Kzenta dans ma tête. Elle utilise sa console. Pratique !

– Dis, Chéri, j’ai l’impression qu’Alka trouve Nathalie à son goût.

– C’est sûr ! Et apparemment, c’est réciproque. Tu crois qu’elles vont…

– Sans aucun doute. Les filles d’Altaïr sont plutôt douées pour ça. Tu en sais quelque chose, non ?

– C’est vrai, mais j’suis curieux d’voir ça. Nathalie, une gouine, j’aurais jamais cru !

Pendant notre petite conversation secrète, les filles n’avaient pas perdu leur temps. Elles avaient déjà bien avancé dans leur découverte réciproque et une évidente complicité s’était installée entre elles. J’suis sûr que dans pas longtemps… Bon, faudra quand même leur donner un p’tit coup d’main. Après tout, Alka va peut-être comprendre ce qu’est l’amour, et ce serait pour elle la plus grande des découvertes. Le reste de la journée s’est agréablement passé, et on s’est donné rendez-vous pour aller voir un film demain. Cet éclat qui brille dans les yeux de Nathalie et ceux d’Alka en dit long. Enfin, advienne que pourra !

oOo

Ça fait maintenant une semaine qu’Alka s’est installée chez Kzenta. Nous sommes sortis plusieurs fois à quatre, et les choses ont l’air de bien avancer entre Alex et Nathalie. La pauvre, elle risque d’en baver quand Alka sera partie. En attendant, on a eu l’opportunité de leur faire approfondir leur relation : les parents de Valérie sont partis deux jours pour aller voir des amis dans la ville voisine. Nathalie a aussitôt été invitée par Valérie à une “pyjama partie”. Le prétexte parfait pour nos deux couples. Faut dire que Kzenta et moi, on a pas encore eu l’occase de… tu vois c’que j’veux dire, mec ? J’te raconte pas la folie ! Non, n’insiste pas. Quant à Alex et Nathalie, elles se sont pas fait prier non plus et ont vite investi la chambre d’amis. Inutile de leur demander le lendemain si ça s’était bien passé. Leur air épanoui et comblé parlait pour elles. Un peu plus tard dans la journée, Alka nous a fait une étrange demande.

– Dites, les amis, vous croyez que je devrais révéler à Nath ma véritable identité ? Ça m’embête un peu de lui mentir. Wolfgang, comment tu as réagi quand tu as su pour Kzenta ?

– Je l’aime tellement que j’ai tout de suite accepté la chose. Et puis, sous sa vraie forme, elle est adorable, non ?

– Tu l’aimes, ça veut dire quoi ?

C’est vrai que ce sentiment est inconnu chez eux. Je lui ai donc expliqué comme je l’avais fait à Valérie. Et la réaction d’Alex m’a bien fait plaisir.

– Alors c’est ça… Eh bien, je crois que j’aime Nath. Je me sens mal rien qu’à l’idée de devoir la quitter bientôt. Oui, c’est sûr, je l’aime ! Bon, je vais prendre le risque, je lui dois bien ça.

Il avait fallu deux semaines à Gorku et Tsugi pour “programmer” l’installation définitive de Kzenta sur Terre et effacer définitivement le souvenir de la mère Michaud chez tous ceux qui l’avaient connue. La veille du départ, Gorku nous a invités pour un repas d’adieu dans sa soucoupe volante. Alka décida d’y emmener Nathalie. Elle savait que ça lui ferait sûrement un choc, mais elle espérait qu’elle l’aimerait assez pour le surmonter. Le soir venu, prétextant une soirée au ciné pour nos parents respectifs, nous sommes allés dans la forêt. Nathalie était perplexe. Que diable faisions-nous là ?

– Nath, ma chérie, écoute-moi bien. Je vais te montrer qui je suis en réalité. Quoiqu’il arrive, quoique tu puisses en penser, souviens-toi que je t’aime. Je t’aime à un point… Maintenant, ferme les yeux, s’il te plaît.

Avant que nous soyons téléportés dans le vaisseau, elle lui donne un baiser long et langoureux qu’accepte très volontiers Nathalie. Le dernier, peut-être…

Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle étouffe un cri de terreur. Elle se trouve dans un vaisseau spatial et est entourée d’extra-terrestres ! Mais elle se ressaisit très vite en reconnaissant Alex sous sa vraie forme. Il est vrai qu’elle n’avait pas de quoi être déçue. Sous son aspect réel, Alka était au moins aussi bandante qu’en Terrienne. Par contre, elle est abasourdie en voyant Kzenta.

– Alors, toi aussi, Valérie ?

– Eh oui. Tu n’es pas déçue, au moins ?

Gorku, qui avait attendu qu’elle soit remise de sa surprise prend la parole :

– Bienvenue dans notre modeste vaisseau, Nathalie. Je suis ravi d’accueillir la personne qui a fait battre le cœur de notre petite Alka.

– Euh… Vous êtes ses parents ?

Tsugi est vexée qu’on la croie assez vieille pour être la mère d’Alka. Elle ne se rend pas compte que c’est effectivement le cas !

– Non, en fait, la notion de parents et de famille n’existe pas chez nous. Mais Alka vous expliquera tout cela. Et si nous passions à table ?

Bien entendu, le repas était typiquement terrien. Quoique la cuisine altaïrane ne nous aurait pas choqués. Durant celui-ci, Gorku et Tsugi répondirent volontiers aux nombreuses questions de Nathalie. Sa curiosité scientifique avait pris le dessus sur l’énorme surprise qu’on lui a faite. Après quoi, le moment des adieux était arrivé, car Alka resterait à bord. Nathalie et elle allèrent dans sa cabine pour se les faire. Hé, l’auteur, raconte ce qu’elles se sont dit, moi j’étais pas avec elles pour leur tenir la chandelle !

Bon, je veux bien satisfaire la curiosité de Wolfgang et celle des lecteurs par la même occasion.

En pénétrant dans la petite pièce, Nathalie fut aussi surprise que l’avait été Wolfgang. Mais l’heure n’était pas à s’occuper de ces détails.

– Ma Nath, je vais devoir rester ici et demain, nous repartirons sur notre planète.

– Alors, tu vas me quitter ? On ne se reverra plus ? C’est trop dur, ma chérie.

– Si je pouvais, je t’emmènerai avec moi. Mais c’est juré, je vais tout faire pour revenir et peut-être même rester sur Terre comme l’a fait Kzenta.

– Mon amour, tu me le promets ? Je t’attendrai le temps qu’il faudra, je te le jure aussi.

Bien, la suite ne vous regarde pas, même si vous n’aurez aucune peine à l’imaginer. Je repasse donc la parole à Wolfgang.

De retour sur Terre, on a vite vu que Nathalie en avait gros sur la patate. Aussi, on a essayé de la réconforter.

– Ne sois pas si triste, Nathalie. Je suis sûre qu’Alka va revenir, car elle t’aime vraiment. Tu sais, chez nous, ce sentiment n’existe pas. C’est un vrai miracle qu’elle soit tombée amoureuse de toi.

– C’est sûr, les Altaïrans ne font pas l’amour, ils baisent, juste pour satisfaire leurs besoins libidineux. Mais sur Terre, on fait la différence, non ? Au fait, si c’est pas trop indiscret, c’était comment avec Alka ?

– Je te donnerai pas de détails, cochon ! Mais ce qui est sûr, c’est qu’on a fait l’amour et pas une simple baise.

Elle avait l’air de se sentir mieux, aussi on s’est séparés pour rentrer chacun chez soi.

oOo

Les vacances vont bientôt se terminer. J’ai demandé à Kzenta d’examiner soigneusement le PC que m’a filé Gorku. Des fois qu’leur ordi central y ait programmé des instructions “subliminales” dans le but de me rectifier. Mais y’a pas d’lézard. Elle m’a assuré qu’il est “clean”. J’ai commencé à l’utiliser, et c’est vraiment surprenant. Chaque matin, je me réveille avec de nouvelles connaissances. Maintenant, je comprends à la perfection ce que j’ai appris en terminale. Si ça continue, j’en saurai plus que mes profs à la fac.

Comme elle l’avait promis, Alka est revenue avec Gorku et Tsugi, mais avec un membre d’équipage supplémentaire : celui qui allait remplacer Alka comme navigateur. On imagine bien la joie de Nathalie quand elle a appris la nouvelle : Alex et elle allaient pouvoir vivre ensemble ! Quand on est allé dîner tous ensemble dans le vaisseau, Gorku nous a dit :

– C’est terminé ! Je ne reviendrai plus sur Terre si à chaque voyage je perds un membre d’équipage. C’est pourquoi j’ai interdit à l’enseigne de descendre sur Terre. On ne sait jamais, il pourrait lui aussi tomber amoureux !

Ça nous a bien fait rire, et il a quand même promis de nous donner de leurs nouvelles de temps en temps. Mais on a hurlé de rire quand Tsugi nous a raconté sa nouvelle mésaventure. À son retour à Altaïr, elle s’est aperçu avec horreur que Soaro, son mec, s’était intéressé de très prés à de jeunes enfants, aussi bien garçons que filles. Bien sûr, la pédophilie n’est pas interdite chez eux, puisqu’ils n’ont aucun tabou. Mais Tsugi n’avait pas du tout avalé la chose. Peut-être que son séjour sur Terre lui a fait prendre conscience que ce genre de pratique frise le crime. Aussi l’a-t-elle encore une fois largué avec perte et fracas. J’ai cru comprendre, aux regards qu’ils échangeaient, que Gorku et elle sont à présent ensemble. Tant mieux, ils sont bien assortis.

         Finalement, j’ai enfin présenté Valérie à mes parents. Je s’rai bientôt majeur, et fallait les préparer à ce que je quitte un jour le nid. Ils l’ont tout de suite adoptée. Faut dire que mignonne comme elle est, ils n’allaient pas faire la fine bouche, c’pas ? À la rentrée, Valy et moi, on ira à la même fac de science, moi en Physique et elle en Biologie. On envisage même de passer plus tard un doctorat, puis de travailler dans la recherche. Mais bon, c’est pas demain la veille, par contre, on peut déjà faire des projets, pour l’avenir…

Hein, la suite ? Désolé, mec, je ferme la boutique, là. Si t’en veux vraiment une, demande-la à l’auteur. Et j’ai l’impression qu’il faudra vachement insister !

Fin